Deux bus, une route, de Banjarmasin à Pangkalan Bun

Alors que les (rares) touristes qui viennent dans le Kalimantan font généralement le trajet en avion en 1h20, nous commençons un voyage d’une journée pour rejoindre Pangkalan Bun, dans le Kalimantan Sud Central. Il parait qu’on y croise des orangs-outans !

Préparation de l’itinéraire

On l’a maintenant bien compris, à Bornéo trouver des informations fiables est d’une complexité redoutable. Le Lonely Planet a des infos périmées, les locaux ne savent pas grand chose mais ne veulent pas l’admettre. On se retrouve alors avec une tonne de données contradictoires. D’où on part ? à quelle heure? combien de temps met le trajet ? combien il coûte ? Même Internet reste un peu trop sec à notre goût.

On quitte Banjarmasin !

Ce matin, nous sommes réveillés par le room service du petit déjeuner. Pleine d’espoir, Emi ouvre la porte et récupère notre plateau… deux tranches de pain grillé et un thé très (très très) sucré. Euh, vraiment ? c’est tout ? une pauvre tranche de pain? Bon… ce n’est pas fou, mais restons sur un réveil positif. Si on oublie que la salle de bain sent les égouts, la bonne nouvelle c’est qu’on quitte Banjarmasin, et que mis à part l’expérience du joli marché flottant nous n’avons pas adoré cet endroit.

Nous descendons à l’accueil une fois les sacs bouclés (facile, ils avaient à peine été ouverts). Nico réserve un GrabCar (taxi au prix déjà négocié, le Uber d’Asie) et Emi file chercher une petit déjeuner.
Une rue plus loin, au stand de banane, elle demande « banana empat », paie « empat pulu ribu » (4 000 Rp) sous le regard mi-amusé, mi-adminiratif du mari de la commerçante qui lui demande si elle parle indonésien (bahasa indonesia). Eh ben oui ! « un tout petit peu », « little little » accompagné du signe de la main qui va bien. S’ensuivent alors quelques questions, comme pour vérifier qu’elle maîtrise bien la langue, d’où elle vient, quelle ville, combien de temps on reste en Indonésie…

Eh oui, après cinq semaines dans le coin, il est possible d’avoir une conversation (très basique) avec les locaux. Cela facilite grandement les négociations et attire la sympathie.

Au stand d’à côté, un jeune homme vends quelques tofu (tahu) et légumes frits sur un chariot à roulette. Parfait, ça fera l’affaire, il faut nous dépêcher ! Emi demande « enam » (six) boulettes, paie le dû avec un sourire en le remerciant d’un « terima kasih » et rebrousse chemin.

Une gare inattendue

Nico a dégoté un chauffeur qui passe nos sacs à l’arrière de sa voiture et nous demande si nous avons déjà les billets. Surpris d’apprendre que nous ne les avons pas il semble soucieux pour nous. Oups, peut-être fallait-il réserver ?

Nous suivons tout doucement un cortège de jeune étudiants avec leur vestes d’écoles vertes qui militent dans la rue contre le gouvernement. Ils sont suivis de près mais nonchalamment par des policiers détendus, voire même amusés.

A mesure que nous sortons du centre ville, nous longeons de grands bâtiments plus modernes, et comprenons alors que là où nous étions n’était pas le quartier abritant l’économie vibrante et moderne. Voitures et magasins sont ici plus récents.

Un petit quart d’heure plus tard, nous sommes à la gare centrale du KM 6 (en gros la gare de bus à six kilomètres du centre ville). Enfin, c’est plutôt une rangée d’une demi-douzaine de bus en tous genres, tailles et qualités, alignés sur un bas côté en terre. Rien n’indique que c’est une gare de bus.

Gare de bus KM6

Deux agences de voyage, et quelques vendeurs de ballotins de riz et bouteilles d’eau sont cachés derrière. C’est ça qui draine tout le flux des voyageurs de Banjarmasin ? La plus grande ville du Kalimantan ? Cela donne un peu une idée du degré de « hors des sentiers battus » où nous sommes… Hahaha 🙂

Billets en poche

Le chauffeur nous aide à demander où acheter le billet et nous emmène jusqu’au guichet d’une compagnie. Il fait la demande pour nous : trop facile ! Une femme assise au comptoir remplie un ticket sur son carnet à la copie carbone et demande 460 000 Rp pour deux billets. C’est à peu près ce qu’Emi avait investigué, alors elle règle et part rechercher son sac et Nico qui prend le pouls de l’ambiance locale. Le bus part dans 15 minutes, juste le temps pour courir à la supérette du coin acheter quelques biscuits pour le trajet ! Elle revient en nage, mais au moins on ne mourra pas de faim.

Bolide lancé

Finalement, le bus aura 10 minutes de retard, le temps pour Emi de reprendre son souffle. Le chauffeur prend place à son siège et allume la multiprise collée sur le tableau de bord. Disque dur externe, télé, radio, chargeur de téléphone portable, tout s’éveille. Un tour de clé et le moteur vrombit à 9h40, c’est parti pour… douze heures de trajets d’après le Lonely !

Petit bus, ce dernier est tout de même climatisé, et vue la chaleur c’est déjà un grand réconfort. Nous essayons de choisir une place où la distance entre le siège et celui de devant permet de poser ses jambes (hein ? eh bien oui, toutes tous les sièges ne sont pas disposés pareil, certains doivent faire des contorsions pour s’asseoir, mais nous sommes les seuls surpris). Parfait, les places treize et quatorze sont libres et semblent tout à fait correctes, il est même possible de rabaisser les sièges pour dormir un peu, on n’en demandait pas plus ! Et en fait, on découvrira deux heures plus tard que ce sont les places qui nous ont été attribuées sur nos billets. Le hasard fait bien les choses.

Comble du luxe, le bus n’étant qu’à moitié plein (que de locaux), nous profiterons de deux sièges chacun. Ah ces occidentaux qui ont besoin d’espace, je vous jure !

Car à hoquet

Dès les cinq premières minutes, nous voilà dans l’ambiance. La télévision suspendue au pare-brise s’allume, un DVD est lancé, c’est ambiance karaoké. Ça rappelle la Moldavie à Emi, et le Cambodge à Nico. Les clips à l’eau de rose racontent des romances mielleuses locales avec un play-back aussi bien fait que ceux des années 80. Du grand spectacle. Tout ça avec une image délavée, saturée de blanc pour atténuer la peau bronzée des acteurs/chanteurs… Vous voyez le tableau ?

Chacun se fait un plaisir de suivre les lignes qui se colorent de jaune au fur et à mesure de la chanson, au rythme des enceintes déjà à fond qui crachent au-dessus des passagers. Tous les deux, on se regarde en biais sans trop savoir s’il faut rire ou prier pour que cela ne dure pas tout le trajet… douze heures, c’est long.

Le suspens des suspensions

Avec cette musique, il ne reste plus qu’à danser ! Et voilà qu’à chaque imperfection de la route, c’est désormais une réalité. Tous les passagers bondissent au moindre nid de poule, bosselette, cailloux ou graine de soja. Nous faisons des sauts de cabris à manquer de tomber des sièges (surtout lorsqu’on tente une sieste), il semblerait que les suspensions du bus soient un peu usées. Suspens… tombera, tombera pas ?

A travers les vitres

Dehors, le paysage défile mais pas vraiment à toute allure. Les suspensions imposent un rythme tranquillou au bus et rappelle à Nico le gag de Gaston avec Prunelle qui a le temps de cueillir les pâquerettes au bord des routes.
Pas de pâquerettes ici, plutôt des bribes de jungle et surtout des forêts d’arbres trop fins et d’immenses champs de… rien. De rien ?

Aigrie culture

On apprendra bientôt que l’agriculture dans ce coin de l’Indonésie est une vaste mauvaise blague. Face à la pression du cours du riz (l’Indonésie importe du riz n’arrivant pas à faire face à la consommation, malgré les cultures omniprésentes), le gouvernement a décidé de faire du Sud de Bornéo une nouvelle terre à rizières.
Plusieurs années à déforester massivement en incendiant les forêts, à délocaliser des familles vers ces terres à conquérir, à planter du riz blanc. Eh bien c’est plutôt choux blanc. Ou même rien du tout. Précipitation sans réflexion.
L’eau salée de la mer à proximité est remontée, et des marécages acides se sont développés. Impossible de faire pousser quoique ce soit de comestible. Qui plus est la région n’est pas volcanique et les terres trois fois moins fertiles qu’à Java, Bali ou Sumatra. Désastre écologique autant qu’humain, les familles délocalisées ayant tout perdu.

Culture mêlée

Nous traversons le village de Basarang : les maisons ont leurs petits temples hindous comme à Bali, des artisans en fabriquent de nouveaux, les écolières n’ont pas le voile sur la tête.
Plus loin, des panneaux indiquent des églises. D’autres des mosquées. Pas de doute, les religions se mêlent par ici.
Les tribus ancestrales s’appellent les Dayak et sont animistes. Ils vénèrent notamment l’oiseau Hornbill, endémique de la région, à la tête si particulière (une corne au-dessus du bec). Les architectures des bâtiments s’inspirent d’ailleurs de ce celui-ci.

On s’attendait à trouver des maisons plutôt construites de bric et de broc, ce sont pourtant des bonnes bâtisses en bois et tôle voire même en béton qui jalonnent la route. Souvent munies d’une grande parabole horizontale (pas de doute, on s’approche de l’équateur). Nombreux sont les chantiers abandonnés où les parpaings se couvrent de traînées grises.
Les bâtiments les plus grands et costauds sont encore ces blocs de bétons sans fenêtres, au sommet desquels tourbillonnent les « swallow birds » élevés pour le marché chinois.
Autre curiosité du coin ? Les toitures, souvent bleues pétard. Ça rappelle le Cambodge où les bâtiments du parti au pouvoir (et maisons des maires) avaient toutes le toit bleu. Mais ici il parait que c’est juste la mode, une marque de matériaux de toiture un peu « cheap » a décidé le bleu, et zou tout devient bleu.

Un air d’autoroute

A 11h20, le bus ralenti et s’arrête. Presque quatre heures que nous roulons déjà. Vous allez dire voilà qu’il ne sait plus compter… quatre ? eh oui quatre ! à quelques kilomètres à peine de Banjarmasin on a croisé un fuseau horaire.
Voici une sorte d’aire de repos : une grande cantine et des toilettes. On ne sait pas si on s’arrêtera à nouveau, ni combien de temps exactement dure la pause, alors nous saisissons notre chance. Gageons que le bus ne reparte que lorsque tout le monde sera à bord. On guette d’un oeil les allés et venues du chauffeur, prêts à bondir.

Ici, personne ne parle un mot d’anglais, alors nous observons les autres et faisons de même. On montre les plats qui nous tentent, un poulet, deux légumes, des œufs (les plats sont minuscules, alors on charge la barque). On nous sert un grand saladier (ou plutôt un égouttoir) de riz avec, ouf.

Bonne surprise à la cantine

C’est une bonne surprise, nous mangeons très bien, tout a du goût et semble assez frais. Nous qui pensions ne pas tout finir, il ne reste plus rien.
Petits suspens quand Emi va payer. Le premier c’est le chauffeur qui a disparu de notre champs de vision depuis quelques minutes. Le second c’est l’addition, car il nous reste exactement en porte feuille 132 400 roupies et on n’a aucune idée du prix… On s’en tire pour 80 000 roupies… Ouf ! on ne va faire la plonge ! Le bus redémarre à 12h00 pétantes.

Future capitale de l’Indonésie ?

Un feu rouge ! Wouhou ! Le premier de Bornéo ! Pas de doute on arrive dans une grande ville. Des bâtiments imposants de l’armée nous accueillent aux abords de Palangka Raya. Le gouvernement réfléchit à délocaliser les administrations du pays à Bornéo, ici même, pour rappeler que l’Indonésie c’est bien une multitude d’îles et pas seulement Java. Décidément, il est bien ce nouveau président.

Il est 13h45. Après cinq heures de trajets et 185km seulement, nous comprenons qu’il est temps de descendre du bus pour en changer. On passe au comptoir de notre compagnie PO Logos : il y a une correspondance de deux heures. Et il faut attendre dans un bâtiment tout en béton où la température nous accable. Youpiii !

Terminal de bus de Palangka Raya

Nous sommes les seuls blancs à attendre ici, parmi les locaux qui nous regardent surpris. Le grand terminal de bus a quelques alcôves occupées par des supérettes de fortune, des petites cuisines, des toilettes, et des salles de prière musulmanes.

Nous prenons place sur un banc, et utilisons la prise électrique aux fils qui pendent pour recharger nos PC.
Nous tombons sous le charme de petits chatons mignons qui cherchent la fraîcheur : quoi de mieux que l’aération du distributeur de boissons !

Un peu de frais !

C’est reparti

A 15h50 nouvelle heure, notre nouveau car grand confort démarre. Il bombe pleine balles sur la route. Heureusement que la suspension fonctionne mieux ce coup-ci, car sinon on sauterait au plafond. Aaah pas de clip sur la télé… mais une radio bien forte qui nous empêchera de dormir un peu.

Grand car grand confort

C’est la fête à la grenouille

Il pleut, croisons les doigts pour que les pneus tiennent la route. Route passante d’ailleurs, chaque village croisé est bien plus développé et moderne qu’on aurait pu l’imaginer. On y aperçoit même des salles de jeux vidéos, où des jeunes sont assis parterre en face de leur télé, une manette de ps2 ou ps3 dans les mains.
Puis c’est à nouveau la campagne, des forêts denses aux petits arbres fins, qui tentent de repousser après les coupes rases.

Emi confortablement installée

Cantine de nuit

17h50 le bus s’arrête à nouveau. 100km seulement depuis le changement de bus. Soit 285km depuis que nous avons quitté Banjarmasin il y a… 9h déjà ! et il reste 365km à faire. No way. On va arriver à quelle heure ? Le Lonely Planet marquait 12h de bus, à part un miracle c’est mission impossible.

La nuit tombe, et les musulmans de notre bus vont faire leur prière à la mosquée. Visiblement c’est également la pause repas du soir, alors nous prenons place dans la petite cantine avec deux « mie bakso » (des soupes de nouilles avec des boulettes) et deux thés.

18h20, le bus repart sur les chapeaux de roues.

Pimp my bus

C’est la nuit noire maintenant, et chaque bus rivalise de kitch-kéké avec ses rangées de diodes vertes, bleues, et phares qui clignotent aux couleurs de l’arc-en-ciel.
Certains vont même mettre jusqu’à des néons fluo dans les bas de caisse.

Fin de trajet

Encore une pause à 21h, au terminal de bus de Sampit, dernière grande ville avant l’arrivée à… 230km encore. Déjà 407km, wouhou ! Selon le timing du Lonely Planet, on est censés être arrivés.
21h24, zouh, c’est reparti.

Nico tente de lire un peu

Pop indonésienne toujours dans le hauts-parleurs, on tient bon. Nous tentons la sieste : Emi a prévu le drap de soie, le masque de nuit et l’oreiller gonflable. Nico n’a que son pull et son pantalon pour ne pas geler sur place – merci la clim’. Nico jette l’éponge et essaie de lire grâce aux lumières positionnées débilement juste au-dessus du siège. Oui vous avez bien lu, juste au-dessus du siège. Ça sert à quoi d’éclairer le sommet du crâne des passagers ? Nico jette une seconde fois l’éponge, mission impossible, surtout avec la musique et les soubresauts de la route.

Vingt kilomètres avant la fin, à 1h30 du mat’, on s’arrête. Deux autres bus d’une autre compagnie sont arrêtés. Une panne ? Verdict inconnu, et notre chauffeur redémarre après dix minutes.

Deux heures du matin, 17h20 après être partis, nous voilà à Pangkalan Bun, enfin ! Nous sommes les derniers à sortir du bus alors que nos chauffeur nous dépose devant notre hôtel : le seul encore ouvert à cette heure tardive.

Pas fâchés d’être arrivés, on monte dans notre chambre sans fenêtres (mais propre dans un hôtel pour professionnels, avec une salle de conférence).
On apprendra plus tard que le trajet met habituellement 18h avec une pause obligée à Palangka Raya. Nous sommes presque en avance alors. Merci le Lonely pour ses informations erronées.

Et pourtant le temps est passé vite

Étrangement, nous nous habituons à ces longs trajets. Nous sommes surpris d’observer notre patience, ainsi que la « rapidité » avec laquelle le temps finit par passer. Nous prévoyons à chaque fois moultes occupations, une quantité d’articles à écrire, de livres et informations à lire, et n’avons pas le temps d’en terminer le quart.
Les heures de transport ce sont les rares moments du voyage où la tête peut se reposer, se laisser aller dans ses pensées, et voir défiler tranquillement le paysage. Alors pourquoi s’en priver ?

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